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Maintenant qu'elle avait savouré sa joie, Madame Seymour laissait remonter à la surface de sa conscience l'inquiétude que lui avait donné la gaîté trop soulignée de Gérard. Au cours de la soirée, elle avait remarqué d'autres détails. Elle ne s'y était pas appesantie sur le moment, toute à son bonheur. Maintenant elle y repensait. Pourquoi ce visage triste de Marie, cette expression contrainte. Seule Mademoiselle... Mais comment s'appelait-elle cette garde ? - avait l'air à son aise. « C'est curieux qu'elle me plaise si peu », se disait Madame Seymour. » Gérard et Marie en font grand cas. Je n'aime pas, pourtant, cette voix sèche. Et puis pourquoi laissait-elle sans cesse ouverte la porte de sa chambre ? Impossible de se parler, quand on se sent écouté par un tiers. On avait l'impression que chaque parole était examinée, pesée, retenue ».

Madame Seymour, avant de se coucher, porta ses fleurs dans le cabinet de toilette. Elle en admira la fraîcheur. « Pourquoi dans la chambre de Marie les fleurs ne sont-elles pas aussi fraîches. Les feuillages fanés des Chrysanthèmes pendaient sur les tiges. Gérard délaisserait-il sa femme ? »

Madame Seymour se coucha. Elle ne pouvait s'endormir. Les mauvaises impressions se précisaient dans son esprit. Ces impressions se coordonnaient. « Quelque chose n'allait pas », c'était sûr. « Je n'aime pas non plus, pensait Madame Seymour, cette intimité de Gérard avec la garde. Ils ont sans cesse un air de connivence, qu'ils parlent de peinture ou de musique. Et ces promenades à travers le pays auxquelles la garde a fait allusion. Gérard qu'on n'arrive jamais à faire sortir ! Sans compter que, si on les rencontre, cela fera jaser. »

Madame Seymour se releva pour prendre du gardenal. Elle craignait de ne pas dormir. Sa préoccupation était d'autant plus vive qu'elle ne devait rester que vingt-quatre heures. Arriverait-elle à faire comprendre le drame secret qu'elle pressentait. Pourrait-elle y faire face, y remédier ?

Le sommeil venait. Toutes ces impressions mauvaises perdaient de leur acuité. Il semblait à Madame Seymour qu'elle les posait à côté d'elle. Une sorte de brouillard les estompait, comme l'éloignement.

Pour la première fois, Dorothée Seymour, avant de fermer les yeux, fit attention aux meubles de la pièce. Gérard avait reconstitué son ancienne chambre, quand elle habitait La Roche et qu'il était enfant. Ces meubles lui parlaient d'autrefois, de son amour, et de son cœur depuis si longtemps déserté. L'amour... Oh ! Que Gérard ne pêche pas contre l'amour. Il faut sauver leur amour. « Mon Dieu, qu'ils n'aient plus rien d'autre si vous le voulez, j'y consens, mais gardez-les dans leur amour, qu'ils n’abîment pas avec des maladresses le don que vous leur avez fait, le plus grand de vos dons, puisque c'est un peu de vous-même, qu'ils s'aiment, O mon Dieu ! Comme vous les avez aimés, qu'ils s'aiment de tout l'amour que vous avez versé dans leur âme avec votre sacrement. Qu'ils cultivent cet amour, qu'ils y apportent tout leur soin. Gardez-les dans l'amour, Mon Dieu, je vous le demande. Qu'ils s'aiment comme leur père et moi nous nous aimions, nous nous aimons encore malgré la mort qu'il Vous a plu de mettre entre nous. Pour moi, que votre volonté soit faite. J'ai souffert, il y a longtemps que je vous ai donné cette souffrance. Mais épargnez-les, Mon Dieu, gardez-les moi dans leur amour. »

Enfin calmée, Dorothée Seymour glissa dans le sommeil.